Exercices corrigés en vidéo

L'apologue : le conte de fées

Exercice : L’apologue : le conte de fées

 

Texte : Incipit de « Gracieuse et Percinet », Contes de fées, Mme d’Aulnoy, 1697.

           Il y avait une fois un roi et une reine qui n’avaient qu’une fille. Sa beauté, sa douceur et son esprit qui étaient incomparables, la firent nommer Gracieuse. Elle faisait toute la joie de sa mère ; il n’y avait point de matin qu’on ne lui apportât une belle robe, tantôt de brocard d’or, de velours, ou de satin. Elle était parée à merveille, sans être ni plus fière ni plus glorieuse. Elle passait la matinée avec des personnes savantes qui lui apprenaient toutes sortes de sciences ; et l’après-dinée, elle travaillait auprès de la reine. Quand il était temps de faire collation, on lui servait des bassins pleins de dragées, et plus de vingt pots de confitures : aussi disait-on partout qu’elle était la plus heureuse princesse de l’univers.

          Il y avait dans cette même cour une vieille fille fort riche, appelée la duchesse Grognon, qui était affreuse de tout point : ses cheveux étaient d’un roux couleur de feu ; elle avait le visage épouvantablement gros et couvert de boutons ; de deux yeux qu’elle avait eus autrefois, il ne lui en restait qu’un chassieux ; sa bouche était si grande, qu’on eût dit qu’elle voulait manger tout le monde ; mais, comme elle n’avait point de dents, on ne la craignait pas ; elle était bossue devant et derrière, et boiteuse des deux côtés. Ces sortes de monstres portent envie à toutes les belles personnes : elle haïssait mortellement Gracieuse, et se retira de la cour pour n’en entendre plus dire du bien. Elle fut dans un château à elle, qui n’était pas éloigné. Quand quelqu’un l’allait voir, et qu’on lui racontait des merveilles de la princesse, elle s’écriait en colère : « Vous mentez, vous mentez, elle n’est point aimable, j’ai plus de charmes dans mon petit doigt qu’elle n’en a dans toute sa personne ! »

 

Questions

1. Quelles sont les caractéristiques du conte de fées que l’on retrouve dans ce début d’histoire ?

2. Quels éléments comiques montrent la part de dérision dans l’écriture du genre ?

L'apologue : le conte philosophique

Exercice : L’apologue : le conte philosophique

 

Texte : L’Ingénu, chapitre 6 (extrait), Voltaire, 1767.

[L’Ingénu est un jeune Huron, c’est-à-dire indien du Canada, qui a débarqué sur les côtes bretonnes et est tombé amoureux de Mlle Saint-Yves, sa marraine depuis qu’il est baptisé.]

À peine l’Ingénu était arrivé, qu’ayant demandé à une vieille servante où était la chambre de sa maîtresse, il avait poussé fortement la porte mal fermée, et s’était élancé vers le lit. Mlle de Saint-Yves, se réveillant en sursaut, s’était écriée : « Quoi ! c’est vous ! ah ! c’est vous ! arrêtez-vous, que faites-vous ? » Il avait répondu : « Je vous épouse », et en effet il l’épousait, si elle ne s’était pas débattue avec toute l’honnêteté d’une personne qui a de l’éducation.

L’Ingénu n’entendait pas raillerie ; il trouvait toutes ces façons-là extrêmement impertinentes. « Ce n’était pas ainsi qu’en usait Mlle Abacaba, ma première maîtresse ; vous n’avez point de probité ; vous m’avez promis mariage, et vous ne voulez point faire mariage : c’est manquer aux premières lois de l’honneur ; je vous apprendrai à tenir votre parole, et je vous remettrai dans le chemin de la vertu. »

L’Ingénu possédait une vertu mâle et intrépide, digne de son patron Hercule, dont on lui avait donné le nom à son baptême ; il allait l’exercer dans toute son étendue, lorsqu’aux cris perçants de la demoiselle plus discrètement vertueuse accourut le sage abbé de Saint-Yves, avec sa gouvernante, un vieux domestique dévot, et un prêtre de la paroisse. Cette vue modéra le courage de l’assaillant. « Eh, mon Dieu ! mon cher voisin, lui dit l’abbé, que faites-vous là ? — Mon devoir, répliqua le jeune homme ; je remplis mes promesses, qui sont sacrées. »

Mlle de Saint-Yves se rajusta en rougissant. On emmena l’Ingénu dans un autre appartement. L’abbé lui remontra l’énormité du procédé. L’Ingénu se défendit sur les privilèges de la loi naturelle, qu’il connaissait parfaitement. L’abbé voulut prouver que la loi positive devait avoir tout l’avantage, et que sans les conventions faites entre les hommes, la loi de nature ne serait presque jamais qu’un brigandage naturel. « Il faut, lui disait-il, des notaires, des prêtres, des témoins, des contrats, des dispenses. » L’Ingénu lui répondit par la réflexion que les sauvages ont toujours faite : « Vous êtes donc de bien malhonnêtes gens, puisqu’il faut entre vous tant de précautions. »

L’abbé eut de la peine à résoudre cette difficulté. « Il y a, dit-il, je l’avoue, beaucoup d’inconstants et de fripons parmi nous ; et il y en aurait autant chez les Hurons s’ils étaient rassemblés dans une grande ville ; mais aussi il y a des âmes sages, honnêtes, éclairées, et ce sont ces hommes-là qui ont fait les lois. Plus on est homme de bien, plus on doit s’y soumettre : on donne l’exemple aux vicieux, qui respectent un frein que la vertu s’est donné elle-même. »

Cette réponse frappa l’Ingénu. On a déjà remarqué qu’il avait l’esprit juste. On l’adoucit par des paroles flatteuses ; on lui donna des espérances : ce sont les deux pièges où les hommes des deux hémisphères se prennent ; on lui présenta même Mlle de Saint-Yves, quand elle eut fait sa toilette. Tout se passa avec la plus grande bienséance ; mais, malgré cette décence, les yeux étincelants de l’Ingénu Hercule firent toujours baisser ceux de sa maîtresse, et trembler la compagnie.

 

Questions

1. Comment le texte rejoue-t-il le mythe du bon sauvage ? En quoi le langage de l’Ingénu est-il ici le signe de sa naïveté ?

2. Comment cette scène peut-elle se lire comme une réflexion sur la civilisation ?

3. Quelle morale tirer de cet extrait de conte philosophique ?

Le roman épistolaire du XVIIIe siècle

Exercice : le roman épistolaire du XVIIIe siècle

 

Texte : Extrait de Les Liaisons dangereuses, Pierre Choderlos de Laclos, 1782.

[Dans Les Liaisons dangereuses, les libertins Valmont et Merteuil veulent séduire de jeunes gens innocents. Dans la lettre présente, Valmont écrit à la présidente de Tourvel, qui lui résiste, alors qu’il passe la nuit avec une femme.]

Lettre XLVIII.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

(Timbrée de Paris.)

C’est après une nuit orageuse, & pendant laquelle je n’ai pas fermé l’œil ; c’est après avoir été sans cesse ou dans l’agitation d’une ardeur dévorante, ou dans l’entier anéantissement de toutes les facultés de mon âme, que je viens chercher auprès de vous, Madame, un calme dont j’ai besoin, & dont pourtant je n’espère pas jouir encore. En effet, la situation où je suis en vous écrivant me fait connaître, plus que jamais, la puissance irrésistible de l’amour ; j’ai peine à conserver assez d’empire sur moi pour mettre quelque ordre dans mes idées ; & déjà je prévois que je ne finirai pas cette lettre, sans être obligé de l’interrompre.

Quoi ! ne puis-je donc espérer que vous partagerez quelque jour le trouble que j’éprouve en ce moment ? J’ose croire cependant que, si vous le connaissiez bien, vous n’y seriez pas entièrement insensible.

Croyez-moi, Madame, la froide tranquillité, le sommeil de l’âme, image de la mort, ne mènent point au bonheur ; les passions actives peuvent seules y conduire ; & malgré les tourments que vous me faites éprouver, je crois pouvoir assurer sans crainte que, dans ce moment, je suis plus heureux que vous. En vain m’accablez-vous de vos rigueurs désolantes ; elles ne m’empêchent point de m’abandonner entièrement à l’amour, & d’oublier, dans le délire qu’il me cause, le désespoir auquel vous me livrez. C’est ainsi que je veux me venger de l’exil auquel vous me condamnez. Jamais je n’eus tant de plaisir en vous écrivant ; jamais je ne ressentis, dans cette occupation, une émotion si douce, & cependant si vive. Tout semble augmenter mes transports : l’air que je respire est plein de volupté ; la table même sur laquelle je vous écris, consacrée pour la première fois à cet usage, devient pour moi l’autel sacré de l’amour ; combien elle va s’embellir à mes yeux ! j’aurai tracé sur elle le serment de vous aimer toujours ! Pardonnez, je vous en supplie, au désordre de mes sens. Je devrais peut-être m’abandonner moins à des transports que vous ne partagez pas : il faut vous quitter un moment pour dissiper une ivresse qui s’augmente à chaque instant, & qui devient plus forte que moi. (…)

Écrite de P… datée de Paris, ce 30 août 17…

 

Questions

1. Quelles sont les marques de la correspondance ?

2. Comment la lettre impose au lecteur une complicité avec Valmont ?

Le fantastique dans le roman du XIXe siècle

Exercice : Le fantastique dans le roman du XIXe siècle

 

Texte : Extrait du Colonel Chabert, Balzac, 1829.

[Le Colonel Chabert est censé être mort à la Bataille d’Eylau en 1807. Il réapparaît des années plus tard, avec la volonté de récupérer sa fortune et ses biens, légués à sa « veuve ». Nous sommes ici au début de l’histoire : l’avoué (juriste) Derville rencontre l’homme pour la première fois.]

          Le jeune avoué demeura pendant un moment stupéfait en entrevoyant dans le clair-obscur le singulier client qui l’attendait. Le colonel Chabert était aussi parfaitement immobile que peut l’être une figure en cire de ce cabinet de Curtius où Godeschal avait voulu mener ses camarades. Cette immobilité n’aurait peut-être pas été un sujet d’étonnement, si elle n’eût complété le spectacle surnaturel que présentait l’ensemble du personnage. Le vieux soldat était sec et maigre. Son front, volontairement caché sous les cheveux de sa perruque lisse, lui donnait quelque chose de mystérieux. Ses yeux paraissaient couverts d’une taie transparente : vous eussiez dit de la nacre sale dont les reflets bleuâtres chatoyaient à la lueur des bougies. Le visage pâle, livide, et en lame de couteau, s’il est permis d’emprunter cette expression vulgaire, semblait mort. Le cou était serré par une mauvaise cravate de soie noire. L’ombre cachait si bien le corps à partir de la ligne brune que décrivait ce haillon, qu’un homme d’imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt, sans cadre. Les bords du chapeau qui couvrait le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse. Enfin l’absence de tout mouvement dans le corps, de toute chaleur dans le regard, s’accordait avec une certaine expression de démence triste, avec les dégradants symptômes par lesquels se caractérise l’idiotisme, pour faire de cette figure je ne sais quoi de funeste qu’aucune parole humaine ne pourrait exprimer.

 

Questions

1. Quelle est la focalisation ? En quoi cela est-il cohérent avec le registre fantastique ?

2. Quels sont les éléments qui rendent le personnage étrange ? Justifier en analysant des procédés.

Le registre épique

Exercice : le registre épique

 

Texte : Victor Hugo, Les Misérables, extrait, 1862.

[Hugo traite ici de la bataille de Waterloo, qui a provoqué en 1815 la chute définitive de Napoléon Ier.]

Alors on vit un spectacle formidable.

Toute cette cavalerie, sabres levés, étendards et trompettes au vent, formée en colonne par division, descendit, d’un même mouvement et comme un seul homme, avec la précision d’un bélier de bronze qui ouvre une brèche, la colline de la Belle-Alliance, s’enfonça dans le fond redoutable où tant d’hommes déjà étaient tombés, y disparut dans la fumée, puis, sortant de cette ombre, reparut de l’autre côté du vallon, toujours compacte et serrée, montant au grand trot, à travers un nuage de mitraille crevant sur elle, l’épouvantable pente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean. Ils montaient, graves, menaçants, imperturbables ; dans les intervalles de la mousqueterie et de l’artillerie, on entendait ce piétinement colossal. Étant deux divisions, ils étaient deux colonnes ; la division Wathier avait la droite, la division Delord avait la gauche. On croyait voir de loin s’allonger vers la crête du plateau deux immenses couleuvres d’acier. Cela traversa la bataille comme un prodige1.

(…) Il semblait que cette masse était devenue monstre et n’eût qu’une âme. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype. On les apercevait à travers une vaste fumée déchirée çà et là.

Pêle-mêle de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte discipliné et terrible ; là-dessus les cuirasses, comme les écailles sur l’hydre2. Ces récits semblent d’un autre âge. Quelque chose de pareil à cette vision apparaissait sans doute dans les vieilles épopées orphiques3 racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes4, ces titans5 à face humaine et à poitrail équestre dont le galop escalada l’Olympe, horribles, invulnérables, sublimes ; dieux et bêtes.

  1. « prodige » : phénomène extraordinaire, presque merveilleux.
  2. « Hydre » : monstre mythologique à sept têtes. Quand on coupe une de ses têtes, celle-ci repousse en deux têtes.
  3. « Epopée orphique » : vaste récit antique chantant les prouesses d’un personnage nommé Orphée.
  4. « Hippanthrope » : qui a la forme du cheval.
  5. « Titan » : personnages mythologiques d’une force et d’une taille extraordinaire.

 

Questions

1. Relever des hyperboles qui font de cette scène de guerre une scène épique.

2. Quels éléments du texte font surgir le merveilleux dans la scène ? Identifier des figures de style précises.

3. Relever des énumérations et commentez ce qu’elles apportent au registre épique.

Les rythmes du récit

Exercice : les rythmes du récit

 

Texte : Stendhal, extrait de La Chartreuse de Parme, 1839.

[Le jeune protagoniste, Fabrice del Dongo, est parti rejoindre les troupes françaises de Napoléon pour assouvir son désir d’héroïsme. Il participe ici à la bataille de Waterloo.]

  Tout à coup on partit au grand galop. Quelques instants après, Fabrice vit, à vingt pas en avant, une terre labourée qui était remuée d’une façon singulière. Le fond des sillons1 était plein d’eau, et la terre fort humide, qui formait la crête de ces sillons, volait en petits fragments noirs lancés à trois ou quatre pieds de haut2. Fabrice remarqua en passant cet effet singulier ; puis sa pensée se remit à songer à la gloire du maréchal. Il entendit un cri sec auprès de lui : c’étaient deux hussards3 qui tombaient atteints par des boulets ; et, lorsqu’il les regarda, ils étaient déjà à vingt pas de l’escorte. Ce qui lui sembla horrible, ce fut un cheval tout sanglant qui se débattait sur la terre labourée, en engageant ses pieds dans ses propres entrailles ; il voulait suivre les autres : le sang coulait dans la boue.

  Ah ! m’y voilà donc enfin au feu ! se dit-il. J’ai vu le feu ! se répétait-il avec satisfaction. Me voici un vrai militaire. A ce moment, l’escorte allait ventre à terre, et notre héros comprit que c’étaient des boulets qui faisaient voler la terre de toutes parts. Il avait beau regarder du côté d’où venaient les boulets, il voyait la fumée blanche de la batterie4 à une distance énorme, et, au milieu du ronflement égal et continu produit par les coups de canon, il lui semblait entendre des décharges5 beaucoup plus voisines ; il n’y comprenait rien du tout.

  1. sillon : longue tranchée dans le sol.
  2. quatre pieds de haut : ancienne unité de mesure.
  3. hussards : cavalier.
  4. batterie : lieu où sont placés les canons.
  5. décharges : tirs simultanés.

 

Questions

1. Identifier les rythmes du récit dans cet extrait.

2. Quel « rythme » domine ? Pourquoi ?

La nouvelle réaliste du XIXe siècle

Exercice : la nouvelle réaliste du XIXe siècle

 

Texte : Extrait de la nouvelle « Rosalie Prudent », Guy de Maupassant, 1886.

Il m’répétait que j’étais belle fille, que j’étais plaisante… que j’étais de son goût… Moi, il me plaisait pour sûr… Que voulez-vous ?… on écoute ces choses-là, quand on est seule… toute seule… comme moi. J’ suis seule sur la terre, m’sieu… j’ n’ai personne à qui parler… personne à qui compter mes ennuyances… Je n’ai pu d’ père, pu d’ mère, ni frère, ni sœur, personne ! Ça m’a fait comme un frère qui serait r’venu quand il s’est mis à me causer. Et puis, il m’a demandé de descendre au bord de la rivière, un soir, pour bavarder sans faire de bruit. J’y suis v’nue, moi… Je sais-t-il ? je sais-t-il après ?… Il me tenait la taille… Pour sûr, je ne voulais pas… non… non… J’ai pas pu… j’avais envie de pleurer tant que l’air était douce… il faisait clair de lune… J’ai pas pu… Non… je vous jure… j’ai pas pu… il a fait ce qu’il a voulu… Ça a duré encore trois semaines, tant qu’il est resté… Je l’aurais suivi au bout du monde… il est parti… Je ne savais pas que j’étais grosse, moi !… Je ne l’ai su que l’mois d’après…

Elle se mit à pleurer si fort qu’on dut lui laisser le temps de se remettre.
Puis le président reprit sur un ton de prêtre au confessionnal : «Voyons, continuez».

Elle recommença à parler : « Quand j’ai vu que j’étais grosse, j’ai prévenu Mme Boudin, la sage-femme, qu’est là pour le dire ; et j’y ai demandé la manière pour le cas que ça arriverait sans elle.

Et puis j’ai fait mon trousseau, nuit à nuit, jusqu’à une heure du matin, chaque soir ; et puis j’ai cherché une autre place, car je savais bien que je serais renvoyée ; mais j’ voulais rester jusqu’au bout dans la maison, pour économiser des sous, vu que j’ n’en ai guère, et qu’il m’en faudrait, pour le p’tit…

—Alors vous ne vouliez pas le tuer ?

—Oh ! pour sûr non, m’sieu.

—Pourquoi l’avez-vous tué, alors ?

—V’là la chose. C’est arrivé plus tôt que je n’aurais cru. Ça m’a pris dans ma cuisine, comme j’finissais ma vaisselle. M. et Mme Varambot dormaient déjà ; donc je monte, pas sans peine, en me tirant à la rampe ; et je m’ couche par terre, sur le carreau, pour n’ point gâter mon lit. Ça a duré p’t-être une heure, p’t-être deux, p’t-être trois ; je ne sais point, tant ça me faisait mal ; et puis, je l’poussais d’ toute ma force, j’ai senti qu’il sortait, et je l’ai ramassé. Oh ! oui, j’étais contente, pour sûr ! J’ai fait tout ce que m’avait dit Mme Boudin, tout ! Et puis je l’ai mis sur mon lit, lui ! Et puis v’là qu’il me r’vient une douleur, mais une douleur à mourir. Si vous connaissiez ça, vous autres, vous n’en feriez pas tant, allez ! J’en ai tombé sur les genoux, puis sur le dos, par terre ; et v’là que ça me reprend, p’t-être une heure encore, p’t-être deux, là toute seule…, et puis qu’il en sort un autre…, un autre p’tit…, deux…, oui…, deux… comme ça ! Je l’ai pris comme le premier, et puis je l’ai mis sur le lit, côte à côte-deux. Est-ce possible, dites ? Deux enfants ! Moi qui gagne vingt francs par mois ! Dites… est-ce possible ? Un, oui, ça s’ peut, en se privant… mais pas deux !

 

Questions

1. En quoi le langage de Mlle Prudent est-il réaliste ? Justifier.

2. Décrire un accouchement de la sorte est scandaleux au XIXe siècle. En quoi cette scène est-elle réaliste ? Justifier.

Le monologue intérieur dans le roman

Exercice : le monologue intérieur dans le roman

 

Texte : Albert Cohen, extrait de Belle du Seigneur, chapitre LXXXVII, 1968.

[Ariane a quitté son mari, un homme médiocre, pour vivre le grand amour avec Solal. Exclus de la bonne société, les amants se sont retirés dans un luxueux hôtel de la Côte d’Azur.]  

     Resté seul, il soupira1. II la voyait nue chaque jour, et elle croyait devoir le vouvoyer. La pauvre, elle se voulait une amante idéale, faisait de son mieux pour conserver un climat de passion.

     Enfin, elle était allée s’habiller, bonne affaire. Dix minutes d’irresponsabilité. Toujours bon à prendre. Oui, mais lorsqu’elle reviendrait, elle poserait la question fatidique2, épée de Damoclès3, lui demanderait quels étaient les projets pour l’après-midi, après l’équitation. Quels nouveaux plaisirs inventer pour camoufler leur solitude ? Il n’y en avait pas de nouveaux. Toujours les mêmes substituts du social4, les mêmes pauvres bonheurs à la portée des bannis, les théâtres, les cinémas, les roulettes de casinos, les courses de chevaux, les tirs aux pigeons, les thés dansants, les achats de robes, les cadeaux.

     Et toujours, à la fin de ces expéditions à Cannes, à Nice, à Monte-Carlo, c’était le dîner raffiné cafardeux, et il fallait parler, trouver de nouveaux sujets, et il n’y en avait plus. […] Alors quoi ? Alors, on commentait les dîneurs.

     Eh oui, ne fréquentant plus personne et ne pouvant plus commenter des amis, agréable occupation des sociaux, ni parler d’une activité quelconque, puisque ignominieusement chassé5 comme avait dit la Forbes6, il fallait tout de même nourrir la conversation puisqu’on était des mammifères amoureux à langage articulé. Alors voilà, on commentait des dîneurs inconnus, on tâchait de deviner leur profession, leur caractère, leurs sentiments réciproques. Tristes passe-temps des solitaires, espions et psychologues malgré eux.

     Et quand on avait fini l’exégèse7 de ces inconnus désirables, inaccessibles et méprisés, II fallait trouver autre chose. Alors on discutait de la robe achetée ou des personnages des romans qu’elle lui lisait le soir. S’apercevait-elle de leur tragédie ? Non, elle était une femme bien, ferme en son propos d’amour.  

  1.  Il s’agit de Solal.
  2. fatidique : qui marque une intervention du destin.
  3. épée de Damoclès : danger qui peut s’abattre sur quelqu’un d’un instant à l’autre.
  4. du social : des relations sociales.
  5. Solal a perdu son poste à la S.D.N, (Société des Nations, ancêtre de l’O.N.U) parce qu’il est juif (l’intrigue se déroule dans les années 30).
  6. Mrs Forbes est une connaissance d’Ariane et de Solal.
  7. l’exégèse : l’étude, l’analyse.

 

Questions

1. Relever les procédés qui participent de l’oralité dans l’extrait.

2. Pourquoi peut-on parler de monologue intérieur ?

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