Le bonheur

Le bonheur est un état de satisfaction stable et durable. Il faut le distinguer le bonheur du plaisir. Le plaisir est, lui aussi, un état de satisfaction, mais éphémère : il ne dure pas dans le temps. Sur la question du bonheur, il y a deux grandes problématiques. La première est de savoir si pour être heureux, il faut satisfaire tous ces désirs. Cette question est traitée dans le cours sur le désir, où l’on envisage plusieurs positions autour de cette question. Il faut garder en tête le débat entre Socrate et Calliclès dans le Gorgias de Platon, et plus précisément l’objection de Socrate à Calliclès quand ce dernier défend que pour être heureux, il faut satisfaire tous ces désirs, mener une vie de jouissance etc. Socrate objecte à Calliclès ce que l’on appelle l’objection des « tonneaux percés », c’est-à-dire l’idée que le désir renaît constamment.

Ce cours va chercher à explorer si le bonheur est le but de la vie ou bien s’il existe des exigences supérieures au bonheur, et donc préférables à celui-ci.

 

I. Le bonheur est le Souverain Bien

 

La première thèse est que le bonheur est le « Souverain Bien ». Souverain Bien est synonyme de but de la vie. Ce serait le bien le plus ultime, celui qui vaut plus que tous les autres.

Cette thèse est défendue de manière générale dans l’Antiquité. C’est une thèse eudémoniste, qui considère le bonheur comme le but de la vie. On la trouve particulièrement étayée chez Aristote. Aristote part de la distinction entre deux activités, la « poiesis » et la « praxis ».

La « poiesis », en grec, pourrait être rendue par le mot « production », c’est une activité qui a sa fin en dehors d’elle-même. Par exemple, l’activité du cordonnier a sa fin en dehors d’elle-même puisque le cordonnier fabrique une chaussure, extérieure à son activité de production.

La « praxis » est une activité qui est une fin en soi : il y a « praxis » quand ce que je fais ne produit pas un objet extérieur. Par exemple, jouer de la musique, faire du sport ou parler devant une assemblée. Or, si le bonheur est le Souverain Bien, dit Aristote, c’est nécessairement qu’il est une fin en soi, ce n’est pas un moyen pour autre chose, il appartient donc au domaine de la « praxis ».

Il s’agit alors de savoir de quelle « praxis » il s’agit. Pour répondre à cette question, il faut garder en tête ce qu’est le finalisme d’Aristote qui est que tout être a une finalité, une fin, une essence à accomplir, tout être est fait pour quelque chose. Pour ce qui est de l’homme, il faut cerner sa spécificité, la pensée. Donc, pour l’homme, trouver le bonheur, c’est-à-dire accomplir sa finalité, c’est faire l’exercice de sa pensée, du logos, ce qui peut se décliner en deux « praxis ». Pour Aristote, il y a l’activité politique et morale qui est une fin en soi, mais également l’activité de connaissance, qu’il appelle la théorétique, la contemplation, la philosophie.

Pour résumer, selon Aristote, le bonheur est le Souverain Bien et s’atteint pour l’homme par une activité de la pensée, considérée comme activité qui est à elle-même sa propre fin, et qui se décline comme activité politique ou morale ou bien comme activité théorétique, de connaissance.

 

II. Le bonheur est un idéal de l’imagination

 

Cette conception eudémoniste du bonheur a été critiquée notamment par Kant à la période moderne dans une perspective où il s’agit de dire que le bonheur sera ce que Kant appelle un idéal de l’imagination. Il faut contextualiser. La société de Kant et sa conception sont plus libérales au sens où il revient à l’individu de choisir sa propre conception du bonheur. Kant explique que personne ne peut déterminer exactement ce qu’il veut. Il prend différents exemples. Admettons que quelqu’un dise que le bonheur est pour lui la richesse. Kant répond qu’il ne peut pas assurer qu’avec cette richesse il ne trouvera pas beaucoup de malheur, comme on le voit parfois avec de nouveaux riches qui sont plus malheureux avec une grosse somme d’argent que sans. Admettons qu’un autre dise que le bonheur est pour lui la connaissance. Le raisonnement est le même pour Kant : rien n’assure cette personne que la connaissance qu’elle espère ne lui donnera pas une lucidité, un regard plus pénétrant sur le cours des choses qui le rendra malheureux. Donc pour Kant le bonheur est un idéal de l’imagination puisqu’il ne peut pas être déterminé précisément, rationnellement.

Dans Fondements de la métaphysique des mœurs, Kant précise que si le bonheur était la finalité réelle de l’homme, alors la nature aurait bien mal agit. La nature a doté l’homme de la spécificité qu’est la raison. Or, plus l’homme exerce cette raison, plus il s’éloigne du contentement. Cela signifie que la finalité de l’homme ne peut pas être le bonheur. Certes il est dans l’activité de la raison, mais cette activité de la raison a pour fin la morale. Pour Kant, le bien absolu est la morale, le respect de l’impératif catégorique. On pourra se reporter au cours qui traite de la morale. Agir moralement ne rend pas heureux, mais simplement digne de l’être.

 

III. Bonheur et vie humaine

 

Dans cette dernière partie, il faut donc envisager une valeur qui serait au-dessus du bonheur et du contentement. On peut se référer ici à la philosophe Philippa Foot. Elle imagine que l’on vous propose une lobotomie et après cette lobotomie, le seul désir sera de compter des brins d’herbe dans un champ et on vous fournira un champ plein de brins d’herbe. Vous serez alors heureux puisque vous n’aurez qu’un seul désir, et ce désir sera satisfait. Évidemment, on n’acceptera pas cette proposition. Cela montre que l’on préfère une vie humaine authentique, où l’on développe des capacités proprement humaines avec toutes les insatisfactions que cela comporte plutôt qu’une vie heureuse mais d’imbécile heureux.

Dans cette perspective John Stuart Mill disait qu’« il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait ». On peut se reporter au cours sur cette citation. Il vaut peut-être mieux avoir des insatisfactions, voire certaines peines ou certaines souffrances, plutôt qu’une vie, certes, de satisfaction mais qui se rapprocherait de la vie animale. Là aussi, le bonheur n’est pas le Souverain Bien, et on peut lui préférer quelque chose d’autre, une vie humaine authentique, avec son lot de déceptions, de douleurs parfois, mais préférable à une vie de contentement simple.

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