III. Le Calife et l’Empereur
Il est intéressant dans un dernier temps d’étudier les rapports entre le Calife, à l'époque des Abbassides, et l’Empereur (d’Orient ou d’Occident). Ce sont des relations originales pour l’époque. Elles montrent qu’il y a des échanges et pas uniquement des conflits. L’époque que nous étudions ici est celle du calife Al-Mamun qui a régné à Bagdad entre 813 et 833. Il montre des échanges diplomatiques et culturels importants. Il faut d’abord noter qu’il est le fils du calife Al-Rashid, connu pour avoir entretenu une diplomatie active et pacifique avec l’Empire de Charlemagne, par exemple il a offert un éléphant albinos d’Asie en guise de cadeau diplomatique pour symboliser ses bonnes relations avec l’empereur.
A. La traduction des textes anciens
L’époque d’Al-Mamun est marquée par le fait que l’on a importé de l’empire byzantin un très grand nombre de textes anciens antiques de penseurs, de philosophes, de scientifiques grecs. L’objectif était la traduction de ces textes. Ainsi en 832, à Bagdad, le calife crée une institution, la maison de la sagesse qui a pour objectif de récupérer un très grand nombre de textes pour les traduire et les discuter. Il existe à cette époque, à Bagdad et dans d’autres villes de l’empire, une activité intense de traduction des textes antiques du grec à l’arabe dans tous les domaines des sciences, de la philosophie.
Un exemple intéressant est celui de la traduction des grands traités de médecine de Galien ou Hippocrate, des traités du mathématiciens Euclide ou encore ceux de Ptolémée. Les textes des philosophes grecs comme Platon et Aristote sont aussi traduits. Ces traductions arabes ont alors été traduites en latin par des lettrés comme Jacques de Venise par exemple. On sait qu’à l’époque dans les grandes villes de l’empire, il y avait des bibliothèques immenses constituées d’écrits arabes, grecs mais aussi de culture perse et hindoue. Par exemple, dans la ville de Fustat (actuellement le Caire), la bibliothèque comptait plus de 40 000 volumes, 18 000 manuscrits différents. Cette immense bibliothèque nourrissait la vie intellectuelle ainsi que les débats.
B. Un climat d’effervescence intellectuelle
A partir du califat d’Al-Mamun, Bagdad et les grandes villes de l’empire sont devenues des lieux de discussions intellectuelles et théologiques très importantes. La kalam, ou la tradition de discussion, permet de faire évoluer la théologie musulmane en y intégrant les principes tirés de la logique d’Aristote, de la raison. Il y a eu une intense période de débats et de discussions du IXe au XIIe siècles. C’est seulement après que l’islam se ferme aux discussions et aux interprétations. Il est frappant de voir qu’à l’époque les enseignements du Coran, des hadiths ont été passés au tamis de la raison aristotélicienne et de la logique. Les populations arabes de l’empire se sont passionnées pour ces controverses théologiques y compris dans l’islam populaire. C’était un véritable moment de la vie en société. A cette époque florissante, on décompte de très grands noms de savants et d’intellectuels. Ils animent cette période d’effervescence intellectuelle et culturelle. Les savants Al-Kindi et Al-Farabi sont les premiers à avoir appliquer la logique aristotélicienne à leurs travaux et à leurs réflexions. On connaît particulièrement le nom du savant Al-Khwarizmi qui a été le premier à introduire le système décimal ainsi que le zéro, probablement en s’inspirant de connaissances algébriques hindoues.
C. Des villes foyers de culture
Il s’agit donc d’une période d’échanges culturels qui s’ajoutent à des échanges diplomatiques intenses. Cela fait des villes de l’empire, des foyers de culture importants. A l’époque domine dans la société musulmane, l’image de « l’honnête homme », c’est-à-dire l’homme cultivé, le adib est un bon musulman qui a une culture encyclopédique et qui s’intéresse aux apports des autres cultures (culture grecque, latine, perse et hindoue). Il est aussi capable de tenir des discussions éclairées.
Dans les grandes villes, il y a beaucoup d’acculturation et de syncrétisme religieux. Les chrétiens, les juifs ont le statut de dhimmi, de protégé. Ils ne sont pas citoyens, mais ils peuvent pratiquer leur religion. En revanche, ils ont le droit de participer aux controverses religieuses et politique. Ainsi Bagdad, capitale de l’islam sunnite, est aussi une grande ville chrétienne, elle abrite des communautés de chrétiens d’orient (notamment des nestoriens, des melkites, des jacobites) mais c’est aussi une ville juive. En effet, on y trouve beaucoup d’écoles talmudiques. Ces communautés cohabitent aussi avec des chiites, qui eux, vivent plutôt dans la zone proche des tombes des premiers imams. Toutes ces populations vivent en cohabitation et participent aux débats. De la même manière, à l’intérieur de l’islam sunnite, l’école hanbalite nourrit une controverse intense avec les autres traditions sunnites.
L’ensemble de ces éléments renforce l’idée d’une effervescence que l’on retrouve dans d’autres villes comme au Caire mais aussi à Cordoue dans l’Espagne musulmane.