La justice et le droit

Il y a un lien très étroit entre le droit et la justice, comme l’indique l’étymologie. En latin, « droit » se dit jus et « justice » se dit justicia. Pour les définir, il faut bien faire la distinction entre le droit et la justice comme ensemble d’institutions (les palais de justice, les tribunaux) et le droit et la justice en tant que normes.

C’est la distinction à faire dans les notions du programme entre ce qui est légal et ce qui est légitime. Le légal est conforme à la loi, institué. Le légitime est conforme à un idéal, à une valeur. Néanmoins, on notera que le droit est ce que dit la justice : c’est une liberté. La justice est le sens du droit.

 

I. L’équitable

 

Dans un premier temps, on part de l’idée que faire régner la justice c’est faire appliquer le droit, tel qu’il est institué. Si je veux faire régner la justice sans appliquer le droit, je risque de tomber dans le cadre de la vengeance. Si je me venge, je ne suis pas juste, parce que je suis à la fois juge et partie. Je ne suis donc pas impartial, et donc je risque de contrevenir au principe de justice.

Faire régner la justice c’est donc faire appliquer le droit, mais c’est aussi être équitable. L’équité a été définie par Aristote. Il part du constat que la loi a un caractère général, dans sa formulation, elle va dire : « dans tous les cas où… ». La loi ne peut pas avoir un caractère particulier et s’appliquer à toutes les situations. Sinon, il y aurait une infinité de loi car jamais une situation ne ressemble rigoureusement à une autre.

La loi est générale par définition. Or, chaque cas est toujours particulier par définition. Ceci peut donner lieu à un problème selon Aristote. En effet, il peut y avoir des cas dont les caractéristiques secondaires (c’est-à-dire non pris en compte par la loi qui est générale), font qu’une application stricte de la loi mènerait à commettre une injustice. Par exemple, tuer est condamné par la loi, mais on ne peut appliquer cette loi pareillement dans le cas d’un meurtre avec préméditation et dans le cas de la légitime défense.

C’est pourquoi pour ne pas commettre d’injustice quand on applique la loi, il est nécessaire de procéder à un correctif de la loi. Ce correctif de la loi est appelé équité par Aristote. Quand le juge applique la loi, il doit être équitable, puisqu’il doit corriger la loi pour que son application ne soit pas injuste dans le cas particulier. En d’autres termes, le juge doit interpréter la loi. Les critères qu’il a pour le faire est l’esprit de la loi. Pour être équitable, le juge doit se mettre dans la tête du législateur. Il doit essayer de cerner les intentions qu’avait le législateur lorsqu’il a formulé la loi. Le juge ne doit pas être législateur, il doit se mettre à sa place. Il ne doit pas se demander si la loi est juste ou pas (ce qui est le lot du législateur), mais il doit se poser la question de savoir le moyen de rendre l’application de cette loi non injuste.

 

II. Droit positif/droit naturel

 

Néanmoins, cela ne résout pas l’entièreté du problème du rapport entre droit et justice. En effet, parfois, il se peut que le fait d’appliquer le droit ne soit pas juste. Il a existé des lois injustes. Par exemple, les lois antisémites ou antiségrégationnistes. Ces lois étaient légales par définition, puisque inscrites dans le droit, mais elles étaient considérées comme injustes. Il faut faire la distinction entre le droit positif et le droit naturel. Le droit positif est le droit tel qu’institué par les hommes : c’est le droit écrit. Mais le droit positif ne suffit pas à définir toute la justice.

Leo Strauss, philosophe du XXe siècle, explique qu’il y a trois niveaux dans l’articulation entre droit et justice. Le premier niveau est le niveau légal : le droit est ce qui légal, ce qui est écrit concrètement par les hommes, qui est institué. Mais cela ne suffit pas à dire ce qu’est la justice pour Leo Strauss. Il peut exister des lois injustes : le légal n’est pas toujours légitime. Il existe donc un critère supérieur pour évaluer le droit. C’est ce que Leo Strauss appelle l’idéal culturel d’une société. Par exemple, en France c’est l’idéal républicain. Une loi pourra être qualifiée d’injuste si elle contrevient à un des principes de cet idéal, par exemple le principe de non-discrimination ethnique. Mais Leo Strauss ajoute que cet idéal culturel ne constitue pas le critère ultime du droit. Il faut penser un critère encore supérieur, car cet idéal culturel est propre à une culture, et n’est donc pas forcément partagé par une autre culture. Ce niveau supérieur est le droit naturel, c’est-à-dire un droit qui va être déduit de la nature de l’homme. Or, puisque cette nature est universelle, le droit naturel est universel.

Pour évaluer le droit positif, on peut donc prendre en compte deux critères : d’abord l’idéal de la société mais encore un critère supérieur qu’est le droit naturel. Il définirait ce qui est légitime, et il constituerait le critère ultime pour dire si le légal est juste.   

 

III. Critique du droit naturel

 

Certes ce droit naturel dont on a pu se réclamer est un droit important (que l’on a essayé de traduire légalement dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen), mais c’est un droit à qui l’on peut adresser certaines critiques.

La première critique que l’on peut adresser est que ce droit repose sur une définition de la nature humaine. Or, toute définition est par essence culturelle. Pour définir une chose, on retient certaines de ses propriétés et on en met d’autres de côté. C’en est ainsi pour définir l’homme : on prend certaines propriétés et on en laisse d’autres. Par exemple, en Occident, pour les droits de l’homme, on retient de l’homme qu’il est un animal doué de raison et de conscience. On en déduit un certains nombres de droits naturels. Or, cette définition est culturelle et n’est pas forcément partagée par tout le monde. On peut supposer que l’homme est un être créé par Dieu. Dans ce cas, les droits naturels et les devoirs qui découlent de cette définition seront différents.

Première objection donc au droit naturel : la définition de l’homme est culturelle, et il y aurait donc autant de droits naturels qu’il y a de définitions de l’homme, donc autant qu’il y a de cultures. Attention, cela ne doit pas mener à critiquer sans nuance les droits de l’homme : il s’agit simplement de remarquer l’influence culturelle dans la définition de l’homme, la part de construction historique.

Une seconde critique est formulée par Karl Marx dans La question juive, où Marx dit que les droits de l’homme sont d’abord les droits bourgeois. Pour Marx, les droits de l’homme, et notamment la liberté est d’abord la liberté d’entreprendre. Ce sont d’abord des droits qui viennent conforter la position d’une classe dominante. Pour lui, il faut réfléchir à ce qu’est une liberté concrète, et non pas cette liberté abstraite que sont les droits de l’homme. Cette liberté concrète, qui pour être effective, a besoin de conditions sociales. La liberté défendue par les droits de l’Homme est une liberté de classe, que certains dominants imaginent comme universalisables mais qui leur appartient avant tout à eux, en tant que classe économiquement dominante.

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