Introduction : Les frontières dans le monde actuel

Les frontières dans le monde actuel

Le terme de « frontière » désigne toute limite. Si on suit les travaux de Michel Foucher, la frontière s’exprime à la fois dans le registre du réel mais aussi dans celui de l’imaginaire et du symbolique. Ici, on s’intéresse plus particulièrement à la frontière politique. Au sens politique, la frontière est la ligne de démarcation de la souveraineté d’un État. C’est dans cet espace délimité par une frontière que l’État-Nation, la norme dans notre monde contemporain, exprime sa souveraineté. Le paradoxe, comme le montre Michel Foucher dans ses travaux, c’est que depuis 1945, le nombre de frontières n’a jamais cessé d’augmenter : on est passé d’une cinquantaine d’Etats-Nations à 193 à l’ONU aujourd’hui. Et pourtant, depuis l’essor de la mondialisation dans les années 1980-1990, ces frontières plus nombreuses sont également plus poreuses à différents types de flux. Des flux qui s’exercent par l’intermédiaire d’acteurs qui sont de plus en plus des acteurs internationaux ou transnationaux. Comment résoudre ce paradoxe ? Quel est le rôle réel des frontières dans la géopolitique contemporaine ? On suit en cela la problématique de Michel Foucher, qui évoque dans son dernier ouvrage de 2016 un retour du phénomène frontalier.

 

I. Des frontières plus nombreuses

 

Michel Foucher montre que le nombre de frontières dans le monde a beaucoup augmenté. Ceci est le résultat de la décolonisation des années 1950-1960 puis de la chute de l’URSS en 1991. Depuis 1991, le nombre de frontières a augmenté de 30 000 km sur un total d’environ 250 000 km. On parle ici des frontières terrestres qui limitent l’espace de souveraineté d’un État-nation et constituent à la fois la ligne de séparation entre deux pays mais également un espace entre-eux. Cet espace était traditionnellement un no man’s land qui marquait la ligne militaire entre deux camps, si bien que la frontière terrestre est marquée dans l’espace : elle est bornée, souvent militarisée voire murée dans les cas extrêmes.

Il faut ajouter à ces frontières terrestres qui ne cessent de se multiplier, la création à partir des années 1980 des frontières maritimes ainsi que des frontières aériennes qui délimitent également l’espace de souveraineté. Auparavant, les États ne disposaient que d’une souveraineté sur leurs eaux territoriales et les zones contiguës à celles-ci, c’est-à-dire jusqu’à 12 000 nautiques puis 24 000 nautiques. Lors de la conférence de Montego Bay en Jamaïque en 1982, la communauté internationale décide de permettre aux États de s’accaparer des étendues marines au-delà, jusqu’à 200 000 nautiques : c’est la zone économique exclusive (ZEE). Dans ces ZEE, l’État souverain a l’exclusivité de l’exploitation des ressources et décide de la possibilité de laisser passer des navires de commerce ou des navires de guerre. Certains pays peuvent même prétendre à une souveraineté au-delà de ces 200 000 nautiques, jusqu’à 350 000 nautiques, s’ils peuvent prouver qu’il s’agit de la zone d’extension de leur plateau continental. Il s’agit donc véritablement d’un processus de nationalisation des mers et des océans qui concerne un peu plus de 100 millions de km2 d’étendue marine.

A ces zones économiques exclusives en mer correspondent aussi les espaces d’identification aériens. Il s’agit d’espaces soumis à des législations et régulations, propres à l’État qui peuvent interdire ou limiter le passage des aéronefs (appareils aériens : avions, hélicoptères, etc.). Ces derniers doivent communiquer leur plan de vol et demander les autorisations nécessaires lorsqu’ils entrent dans la zone aérienne de l’État.

Tout ceci constitue ainsi un processus d’extension des frontières terrestres, maritimes, aériennes. L’ONU a désignés dans les années 1960, les seuls endroits au monde qu’on ne peut pas accaparer : l’espace extra-atmosphérique et l’Antarctique, qui doivent rester libres de toute appropriation. Pour le reste, le monde continue à connaître une extension d’une multitude de frontières politiques.

 

II. Des frontières plus poreuses

 

Depuis les années 1980-1990, le paradoxe est que parallèlement à la multiplication des frontières politiques des États-Nations, se déploient les réseaux de la mondialisation qui existent par-delà les frontières : ce sont des réseaux transnationaux, élaborés par des acteurs transnationaux. Ils rendent ces frontières de plus en plus poreuses, et ce pour tout type de réseaux. Tout d’abord, les réseaux économiques : dans le cadre du GATT signé en 1947, puis de l’OMC qui lui succède à partir de 1995, de plus en plus de pays (plus de 165 aujourd’hui) abaissent leurs frontières économiques et commerciales pour laisser des flux de marchandises et de services. Aujourd’hui, le taux d’ouverture de l’économie mondiale par les exportations atteint à peu près 35 % : il n’était que de 10 % au début des années 1970.

Il faut ajouter à cela la libéralisation des flux de capitaux, qui sont peut-être les flux qui circulent le plus librement : il s’échange en quelques semaines seulement autant de capitaux que de marchandises et de services en une année. Pour les capitaux, les frontières ont également été abaissées en vertu de réformes néolibérales, dites des 3D (déréglementation, décloisonnement, désintermédiation financière) apparues dès les années 1980.

Il faut ajouter que parallèlement au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, les flux culturels, les flux d’idées se développent. Par exemple : Facebook et ses 2 milliards d’utilisateurs de Facebook, soit plus d’un humain sur 4 ; les 18 milliards de requêtes sur Google chaque année, provenant d’un peu partout dans le monde.

Un autre type de flux qui transgresse les frontières sont les flux migratoires. Depuis les années 1970, la plupart des pays riches, démocratiques, contrôlent leurs flux migratoires, du moins les migrations économiques. Toutefois, avec l’accroissement des flux étudiants, du regroupement familial, des flux de réfugiés, les frontières se sont largement ouvertes. Dans les années 1970, on comptait près de 75 millions d’immigrés dans le monde. En 2016, on en compte selon l’ONU environ 250 millions, en intégrant l’estimation de la migration irrégulière. On voit ainsi que les frontières se sont ouvertes également pour les flux migratoires (on laisse de côté les flux touristiques, plus importants encore, près d’un milliard et demi).

La conséquence est que l’espace transfrontalier qui était plutôt un espace de no man’s land, un espace de confins très militarisé, devient une interface permettant la communication, les échanges, qui voit de plus en plus se greffer des activités de production de richesses. Par exemple: la dynamique zone de la Mexamerica, entre les États du Sud des États-Unis et du Nord du Mexique, grâce à la fixation des activités des maquiladoras (zones franches où les entreprises payent peu d’impôts) le long de la frontière, où l’on constate une activité importante des capitaux et d’entreprises américaines. Cependant ces frontières de plus en plus ouvertes n’apportent pas que des opportunités mais amènent également un nombre plus important de risques. C’est cette dimension qui amène selon Michel Foucher à un retour des frontières.

 

III. Des frontières renforcées

 

Quels sont ces risques ? On s’est rendu compte depuis les années 1990-2000, que la mondialisation charriait des risques importants. D’abord, les risques économiques, financiers, comme ceux des crises systémiques et mondiales telles qu’on l’a vue en 2008 avec la crise des subprimes, qui a généré un surcroît de 200 millions de chômeurs dans le monde. Les risques sont également de nature géopolitique, géostratégique, en particulier les risques liés au terrorisme international qui ne connaît pas de frontières et touche aussi bien les pays occidentaux que les pays du Sud, en particulier les pays musulmans, victimes de groupes djihadistes internationaux. Les risques sont également de nature environnementale, les risques de pollution, les risques liés au réchauffement climatique qui ne connaissent pas de frontières.

Si bien que les peuples expriment aujourd’hui un besoin plus grand de sécurité, de protection, par le renforcement des frontières. Ceci est manifeste avec la montée des mouvements populistes de droite, des mouvements souverainistes et protectionnistes qui existent un peu partout dans le monde. Pour répondre à ce besoin de sécurité et de protection, se manifeste alors un retour de la frontière.

On peut fixer la rupture au début des années 2000, suite aux attentats du 11 septembre 2001. Les Américains ont accepté de voter, par l’intermédiaire de leurs représentants, des lois qui tendent à mettre entre parenthèses leurs libertés et l’ouverture de leur pays au nom de la sécurité. Ainsi, le Patriot Act de 2001, modifié et revoté en 2005, le Homeland Security Act en 2002, prévoient un ensemble de dispositifs, de renforcement des contrôles aux frontières notamment avec l’instauration des passeports biométriques,  le suivi des touristes et des migrants sur le territoire.

Il est frappant de voir que ces mesures n’ont pas suffi, et que cela a conduit le Congrès à voter en 2006 le Secure Fence Act qui renforce le contrôle aux frontières, notamment à la frontière américano-mexicaine. C’est dans ce cadre qu’est prévu la construction d’un mur, dix ans avant Donald Trump, afin de fortifier la frontière entre le Mexique et les États-Unis là où, ni le désert, ni le Rio Grande ne constituent des obstacles naturels. On prévoit donc l’édification d’un mur et le renforcement du contrôle aux frontières en donnant l’autorisation à des milices de citoyens de garder la frontière.

C’est ainsi que de manière plus générale, la mondialisation est marquée par une « épidémie de murs »  comme l’exprime Michel Foucher, qui estime que dans le monde actuel, il en existe plus d’une dizaine, représentant de 7 à 10 % de la longueur totale des frontières terrestres dans le monde soit à peu près 25 000 km de murs. Il s’agit du mur que Donald Trump veut achever, mais il en existe d’autres : par exemple un  mur entre la Serbie et la Hongrie, entre la Turquie et la Bulgarie, entre l’Inde et le Pakistan dans la région du Cachemire, ou encore en Israël entre les territoires autonomes de Cisjordanie, de Gaza et le territoire israélien. La tendance générale est au retour des frontières.

Dans sa version la plus extrême, il s’agit de murs, dans sa version la plus courante, on évoque aujourd’hui le concept de « smart borders » : il s’agit de mettre les hautes technologies au service du contrôle des frontières, par l’usage de drones, de satellites ou de caméras infrarouges qui permettent par exemple d’empêcher le passage des migrants mexicains à la frontière américano-mexicaine. La « smart border » prévoyait, avant que Trump ne décide d’accélérer la construction du mur, de prévenir l’entrée de 95 % des migrants « indésirables » et de n’en laisser passer que 5%. On est ainsi dans le contexte d’une migration plus sélective, choisie. La frontière ne joue pas le rôle d’obstacle insurmontable, elle n’est pas non plus une passoire, mais devient un tamis qui retient les éléments « indésirables » et laisse passer les éléments voulus, aussi bien en matière migratoire qu’en matière de commerce, qu’en matière financière ou qu’en matière culturelle.

 

Conclusion

 

Dans le monde actuel, la frontière ne disparaît pas mais se redéfinie, entre une désactivation de la frontière pour certains flux, et une réactivation. On est dans cette tension entre deux processus qui ne sont pas antagonistes mais complémentaires.

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