L'énoncé
Étudier le texte suivant en répondant aux questions :
1 " Ce n'est merveille si je chante
Mieux que tous les autres troubadours,
Mon cœur va plus fort vers l'amour
Et je suis mieux fait à ses ordres.
5 Cœur et corps et savoir et sens,
Force et pouvoir lui ai donné,
Que je ne m’applique à rien d’autre.
Bien est mort qui d’amour ne sent
Au cœur quelque douce saveur ;
10 À quoi sert vivre sans Valeur,
Sinon à ennuyer les gens.
Que Dieu ne me haïsse au point
De me faire vivre un jour, un mois,
Après être devenu fâcheux
15 Et n’avoir plus désir d'amour.
De bonne foi, sans tromperie,
J’aime la plus belle et meilleure :
Mon cœur soupire, mes yeux pleurent
De trop l’aimer pour mon malheur.
20 Mais qu’y puis-je, si l’Amour m’a pris,
Si la prison où il m’a mis
A pour seule clé la merci
Qu’en elle je ne trouve point?
Cet amour me blesse le cœur
25 D’une saveur si gente et douce
Que si, cent fois par jour, je meurs
Cent fois la joie me ressuscite.
C’est un mal de si beau semblant
Que je le préfère à tout bien;
30 Et puisque le mal m’est si doux
Quel bien pour moi après la peine!
Ah Dieu! Que ne distingue-t-on
D’entre les faux les vrais amant?
Tous ces flatteurs et ces perfides,
35 Que ne portent-ils corne au front?
Je donnerais tout l’or du monde
Et tout l’argent – si je l’avais –
Pour que ma dame sût combien
Je l’adore fidèlement.
40 Quand je la vois, tout en témoigne :
Mes yeux, mon front et ma pâleur.
Aussitôt je tremble de crainte,
Comme la feuille dans le vent,
45 Et n’ai plus de sens qu’un enfant…
Voilà comme Amour m’a saisi :
Ah! que d’un homme ainsi conquis,
Dame peut avoir grand pitié!
Bonne dame, ne vous demande
50 Que d’être pris pour serviteur :
Servirai en vous bon Seigneur
Quelle que soit la récompense;
Et me voici tout à vos ordres,
Être noble et doux, gai, courtois!
55 Vous n’êtes point ours ni lion
Pour me tuer, si je me rends!
À mon « Courtois », là où elle est,
J’envoie ce « vers » : qu’il ne la fâche
Que j’aie tant tardé à le faire!"
Bernard de Ventadour, Ce n'est merveille si je chante
Question 1
Qui est l'auteur de ce poème ? Donnez une définition de son métier.
Bernard de Ventadour est l'auteur de ce poème. Il fut un troubadour occitan du XIIe. Le troubadour est celui qui compose les poèmes.
Observer le vers 2.
Question 2
Relever les thèmes présents en citant le texte.
Les thèmes présents sont ceux :
- du chant : "chante" vers 1 ; "troubadours" vers 2.
- du mal d'amour : "Mon cœur soupire, mes yeux pleurent // De trop l’aimer pour mon malheur" vers 18-19 ; "prison" vers 21 ; "Cet amour me blesse le cœur" vers 24 ; "je meurs" vers 26 ; "mal" vers 28 et 30 ; "peine" vers 31 ; "pâleur" vers 41 ; "crainte" vers 42.
- de la courtoisie : "amant" vers 33 ; "ma dame" vers 38, "fidèlement" vers 39 ; "serviteur" vers 50" ; "servirai" vers 51 ; "noble" vers 54 ; "courtois" vers 54 et 57.
- de la reverdi/du renouveau : "ressuscite" vers 27.
Il s'agit de thèmes propres à l'amour courtois.
Question 3
D'après l'analyse des thèmes, à quel genre cette poésie appartient-elle ?
Cette poésie appartient au genre de l'amour courtois, puisque les thèmes présents dans ce texte sont ceux de l'amour courtois.
Question 4
Quelle conception de l'amour est exposé ici ? Quel paradoxe dévoile cette conception de l'amour ?
Cette poésie dévoile une conception de l'amour très cadré où la femme domine socialement, où l'amour est adultère et où l'amant sert fidèlement sa dame. Dans cette conception, l'amour est perçu comme étant à la fois source de douleur et de douceur.
Question 5
Qui sont les destinataires de ce poème ? Justifier en citant le texte ou en étayant l'explication.
Les destinataires du poème sont :
- les autres troubadours, avec lesquels se compare l'auteur : "Mieux que tous les autres troubadours" vers 2.
- la bien-aimée qui est le sujet principal de cette déclaration d'amour.
- le spectateur (ou le lecteur) qui reçoit une leçon d'amour courtois.