II. Le pape et l’empereur Charlemagne
A. Le retour du sacre impérial en Occident
Le moment du sacre impérial de Charlemagne en l’an 800 de notre ère est un moment charnière dans les relations entre le politique et le religieux. Jusqu’au sacre de Charlemagne, l’Empire ne survivait qu’en Orient, à Constantinople. Le chef des francs n’était que roi des francs. Il ne pouvait pas prétendre au titre impérial. De même, le chef de l’Église romaine ne disposait que du titre de patriarche de Rome et ne pouvait pas prétendre dominer la chrétienté. C’est dans ce contexte que s’inscrit la translatio imperii, c’est-à-dire le retour du sacre impérial en Occident. C‘est un moment très important puisque Charlemagne se déplace à Rome pour être sacré empereur par le pape Léon XIII. Il y trouve une légitimé politique et religieuse de premier ordre. Inversement, le pape Leon XIII a besoin de l’empereur comme d’un protecteur. En effet, il a été victime d’une tentative d’assassinat en 799, l’Italie est menacée par de nouvelles invasions germaniques, notamment des Vandales et des Lombards. Le Pape a donc, non seulement, besoin d’un protecteur mais aussi de terres, d’États que l’empereur lui concède. Ces terres deviennent les États pontificaux. C’est ainsi que le Pape à Rome peut s’affirmer comme l’autorité suprême du christianisme en Europe. C’est précisément à cette époque que l’Europe obtient le titre de chrétienté. Charlemagne y fait figure pour la première fois de père de l’Europe, pater europaes.
B. Une certaine confusion des pouvoirs
Il existe toutefois une certaine confusion des pouvoirs, même si on peut avoir l’impression que le Pape est dépositaire du pouvoir spirituel, et l’empereur du pouvoir temporel. La réalité est plus complexe. Cela crée durablement une problématique de type politique ou géopolitique. Dès le sacre de l’Empereur Charlemagne, dans la basilique du Latran à Rome, dans le protocole, le Pape et l’Empereur sont mis au même niveau. Malgré cela, c’est bien le Pape qui couronne l’empereur. Ils sont néanmoins mis sur une forme d’égalité politique qui est mise en scène. Ensuite, à travers la répartition des pouvoirs, c’est le Pape qui est le chef suprême de l’Église romaine mais Charlemagne détient certains pouvoirs religieux. Il s’impose ainsi au Pape, notamment sur la question de la nomination des chefs du clergé dans l’Empire (les évêques) et également sur la question de la convocation des réunions ecclésiastiques qui fixent le dogme (les conciles). Cette ambiguïté dans la répartition des pouvoirs crée un précédent puisque même au-delà de l’empire carolingien ; à l’époque du Saint Empire romain germanique, il y a toujours une concurrence entre le Pape et l’Empereur à l’époque médiévale.
C. Le Grand Schisme des Églises
La césure qui est consommée entre l’Empire romain d’Occident et l’Empire romain d’Orient (ou empire byzantin), avec chacun leur empereur, se traduit aussi sur un plan religieux.
Les deux Églises de ces empires se séparent progressivement sur des questions de dogmes complexes, on parle de querelles byzantines, sur des questions de rites mais aussi sur des questions politiques. En 1054, le Grand Schisme opère la séparation entre les deux églises. Cela crée d’un côté, le catholicisme romain et de l’autre, l’orthodoxie. Deux capitales politiques et religieuses sont donc désormais face à face : Rome et Constantinople.
La césure religieuse entre les deux églises recouvre aussi une césure politique qui concerne les relations entre l’État et les pouvoirs. Dans l’Empire d’Occident, théoriquement le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel sont nettement séparés, mais l’empereur et le Pape se concurrencent mutuellement sur ces domaines. Cela est illustré par la théorie des deux glaives défendue par la Papauté c’est-à-dire un pouvoir aussi bien spirituel que temporel. En revanche du côté de l’Empire d’Orient, le basileus, l’Empereur, concentre, en vertu de la théorie du césaropapisme, tous les pouvoirs à la fois politiques et religieux. Il est autocrator. Deux empires, deux Églises et deux visions et pratiques différentes du pouvoir.