Le modèle Clausewitzien à l’épreuve de la guerre asymétrique

Le modèle clausewitzien à l'épreuve de la guerre asymétrique

Le modèle clausewitzien s’est imposé durant le XIXe et la première moitié du XXe siècle et reposait sur l’emploi d’une concentration des forces militaires sur des champs de bataille ouverts où des armées réalisaient un duel à grande échelle. Or, depuis la deuxième moitié du XXe siècle, avec le développement de la guerre asymétrique, ce modèle est remis en cause.

La guerre asymétrique repose sur des combattants plus faibles (constitués en milices ou petites armées, comme le terrorisme islamique) qui affrontent des armées régulières d’État. Le terrorisme islamique s’est beaucoup développé depuis le 11 septembre 2001 et incarne une forme de guerre asymétrique.

Est-ce que Al-Qaida ou Daech mènent véritablement une guerre ? Doivent-ils être considérés comme des soldats et recevoir une réponse militaire ou comme des criminels ?

I. Le terrorisme, une stratégie du faible au fort

Pour les terroristes, il s’agit de développer une stratégie du faible au fort qui relève de trois grandes caractéristiques du point de vue du belligérant :

– La faiblesse des groupes armées

La faiblesse des groupes armées de leur armement, de leur potentiel économique qui amène à pratiquer de nombreux attentats avec des moyens inattendus comme les avions de ligne du 11 septembre par exemple, avec 3 000 morts).

– L’usage de tactique à la différence des grandes stratégies

En lien avec la tactique, l’utilisation de la ruse, de la dissimulation et de la tromperie. Tous ces éléments sont condamnés en matière de droit des conflits armés. Les terroristes ne se voient pas reconnaître le statut de soldat car ils ne respectent pas les droits de la guerre et on les compare plutôt aux barbares qu’affrontaient les Grecs à l’époque. Comme pendant les guerres racontées dans l’Iliade et l’utilisation du cheval de Troie que l’on a comparé aux avions de ligne des attentats du 11 septembre. Dans ces guerres, différents droits ne sont pas respectés comme ceux des prisonniers de guerre qui peuvent être maltraités ou décapités. Il s’agit donc d’un soldat qui se met en dehors des règles communes.

– La dimension idéologique et politique

Les combattants suivent une idéologie, ici l’islamisme fondamentaliste. Cet élément peut être rapproché des idées de Clausewitz, on retrouve cette idée que la guerre est menée selon une idéologie dans le cadre d’une guerre de destruction qui poursuit des objectifs politiques. Cet engagement politique et idéologique au nom de l’islamisme radical fait du terrorisme de Daech une guerre de partisan tel que le décrivait Carl Schmitt (1888-1985). La guerre de partisan est une guerre dans laquelle le combattant est très mobile, joue sur la surprise, relève d’un engagement politique et idéologique et se bat jusqu’à la mort.

II. Une asymétrie complexe

Du point de vue des victimes (les grands États souvent occidentaux), on pourrait penser que la victoire est aisée contre les groupes terroristes du fait de l’asymétrie militaire. Or l’asymétrie est complexe pour les victimes et est difficile à penser. Plusieurs éléments sont remarquables :

– Il existe un brouillage entre la criminalité organisée et la guerre

Les pays occidentaux hésitent entre les deux. En France par exemple : d’un côté, on poursuit les djihadistes comme des criminels en utilisant les forces intérieures comme la DGSI (services secrets intérieurs), on mobilise la police et des juges. Mais d’un autre côté, on utilise aussi l’armée. Pour sécuriser les différents points stratégiques, on utilise les soldats dans le cadre de l’opération Sentinelle.

Cette hésitation se retrouve aussi aux États-Unis. En réponse au attentats de 2001, G. Bush a appelé à faire une guerre contre la « terreur », a utilisé son armée pour attaquer l’Afghanistan et détruire le régime des Talibans. En 2003, ils envahissent l’Irak. Il s’agit donc d’une réponse proprement militaire mais elle a été doublée par une réforme complète du renseignement intérieur et de la sécurité intérieure avec le Patriot Act, le Homeland Security Act et la création d’un département de sécurité intérieure qui compte 200 000 fonctionnaires et gèrent la traque de l’ennemi de l’intérieur.

– Les terroristes évitent l’affrontement militaire direct pour utiliser la guerre psychologique

Les attentats n’ont pas pour but une destruction physique massive mais plutôt l’altération psychologique pour créer la terreur et la sidération. Comme l’explique G. Chaliand, spécialiste de géostratégie, le terrorisme est la pire forme de guerre psychologique. Les répercussions sont considérables au cœur de l’opinion publique. Cela renforce la difficulté à gérer ces situations, d’autant plus que les médias amplifient ces effets. Ainsi, après les attentats du 11 septembre perpétrés par Al-Qaida, l’ancien secrétaire d’État de Nixon, Henri Kissinger, a été interviewé. On lui a demandé si les faits du 11 septembre étaient pires ou moins pires que Pearl Harbor. Il a répondu sans hésitation que c’était la pire catastrophe qui avait touché les Américains. L’onde de choc psychologique a touché le monde entier.

III. Les difficultés de la lutte anti-terroriste

La lutte contre les terroristes et la victoire dans la guerre asymétrique est extrêmement difficile. C’est ce que montre G. Chaliand lorsqu’il évoque le « nouvel art occidental » qui est de perdre la guerre et non plus de la gagner. Les réponses menées jusqu’à présent ont divisé les Occidentaux. D’un côté les États-Unis ont mené des campagnes militaires en utilisant la force en Irak. Ils se sont ensuite embourbés dans des guerres asymétriques et civiles en étant incapables de pacifier et de reconstruire le pays. De l’autre côté, les Européens n’ont pas voulu utiliser la force (même si certains ont suivi les États-Unis, la plupart ont nié la réalité de la menace) et ont été rattrapés par les attentats. Comme ceux d’Al-Qaida puis ceux de Daech, notamment en France. La réponse qui se voulait policière et judiciaire ne semblent pas avoir été au niveau. Finalement, les Occidentaux sont mis en échec dans la lutte anti-terroriste.

Comme l’écrit Jean-Vincent Holeindre, le fort est d’autant plus frappé qu’il se croit intouchable. Le faible est au sein d’organisations comme Al-Qaida ou Daech, réseaux transnationaux avec des franchises poussant en rhizomes (racines qui poussent et se renouvèlent dès qu’une racine est détruite). Ainsi, après la mort de Ben Laden et la destruction d’Al-Qaida en Arabie saoudite, d’autres organisations, se sont développées : Al-Qaida au Maghreb, au Yémen. L’attentat des frères Kouachi à Charlie Hebdo a été commandité par Al-Qaida au Yémen.

Les organisations sont en partie déterritorialisées. De ce fait, après la défaite de l’État de Daech en Irak et en Syrie, l’État islamique continue de vivre en différent point, notamment sur Internet. Ce sont des logiques réticulaires difficiles à combattre. Pour les Occidentaux, les ennemis sont à la fois des ennemis de l’extérieur, venant souvent du Moyen-Orient ou de l’Asie du Sud, mais aussi des ennemis de l’intérieur qui ne demandent qu’à passer à l’action.

Conclusion

Ces stratégies de petite guerre développées par Al-Qaida et Daech mettent en péril le modèle clausewitzien de la guerre. Ce n’est plus la force qui l’emporte mais la tactique et l’emploi de la ruse, de la dissimulation et de la tromperie. C’est ce qui fait des nouvelles conflictualités, des enjeux considérables pour les États et leurs armées. Ainsi, pour le professeur Handson, l’art de la guerre et le modèle occidental sont remis en cause. À l’hoplite, ce guerrier antique combattant en bloc, se substitue un anti-hoplite incarné par le djihadiste.

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