Les mémoires de la guerre d’Algérie

Les mémoires de la Guerre d'Algérie

Avec la guerre d’Algérie entre 1954 et 1962, on voit bien les difficultés à écrire l’Histoire d’une guerre à l’issue de laquelle les mémoires s’affrontent, à la fois entre la France et l’Algérie mais aussi à l’intérieur des deux camps, du côté français et algérien. Soixante ans plus tard, les débats sont toujours ouverts.

 

I. La « guerre sans nom » de la France : une mémoire occultée ?

 

Au moment où la guerre se déclenche, lorsque le Front de libération national algérien mène ses premiers attentats et actions terroristes, au moment de la Toussaint rouge en 1954, on ne parle pas de guerre. À l’époque, François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, disait « l’Algérie c’est la France ». L’Algérie avait en effet été découpée en 3 départements français, donc on parlait tout au plus d’opérations de police, de maintien de la paix ou de pacification, et un déni de l’expression des mémoires.

Au démarrage, il n’y a pas eu de déclaration de la guerre, les lois de la guerre n’ont pas été appliquées et il y a donc eu des massacres, de la torture. La propagande d’État était omniprésente à travers l’ORTF, doublée d’une censure de la presse, de l’édition. Peu de mémoires individuelles ou collectives ont donc été exprimées. Malgré 2 millions d’appelés du contingent pour la guerre d’Algérie, il a fallu attendre pour que les témoignages se multiplient sur la réalité de la guerre. La mémoire est ainsi occultée du côté français, on note même l’enlèvement ou l’assassinat d’opposants. Par exemple, l’affaire Maurice Audin du nom d’un jeune chercheur communiste qui voulait dénoncer la guerre. On note aussi qu’après la guerre, il n’y a pas eu de grandes commémorations, au moins jusque dans les années 1990. L’État a pratiqué une série de lois d’amnistie entre 1962 et 1982 pour une grande partie des protagonistes de cette guerre.

Une amnésie s’installe dans l’histoire officielle. Il a fallu l’action d’historiens comme Benjamin Stora dans les années 1990 avec son ouvrage La gangrène et l’oubli pour exhumer les mémoires, et commencer à écrire une histoire de la guerre d’Algérie. 

 

II. Les « guerres mémorielles » en France et en Algérie

 

À travers cet ouvrage, on voit qu’il y a rapidement eu des guerres mémorielles : un affrontement des mémoires à la fois en France et en Algérie :

– Du côté français, lorsque la mémoire s’est libérée, il y a eu des témoignages sous forme de mémoire des combattants (appelés du contingent), d’ouvrages ou d’interviews. Par exemple, la reconnaissance par le général Aussaresses de la pratique de la torture. On a aussi des mémoires des différents opposants, notamment l’Organisation de l’armée secrète (OAS) ou les opposants d’organisations communistes qui luttaient en France contre la guerre. Le réseau Janson luttait par exemple aux côtés du FLN.

– Du côté de l’Algérie, la mémoire de la guerre a été confisquée et instrumentalisée par le Front de Libération Nationale (FLN) qui se fait passer pour l’opposition unique, dans le cadre d’une révolution, ce que Benjamin Stora appelle une « révolution sans visage ». On ne voit pas les individus derrière la mémoire collective portée par le FLN et ses différents généraux puis les différents dirigeants de l’Algérie indépendante. Notamment Boumédiène qui a relégué le mythe selon lequel le peuple algérien se serait levé comme un seul homme derrière le FLN, et avait combattu la France.

Cela a contribué a nier la mémoire des opposants, par exemple : l’opposition entre le FLN et le Mouvement national algérien (MNA) et donc la guerre civile au sein même du pays ; la mémoire des Harkis, faisant partie de l’armée française, qui avaient combattu le FLN. Il y a donc un affrontement des mémoires, la mémoire dominante du FLN qui tait trois mémoires différentes :

– La mémoire du MNA portée par Messali Hadj, qui milite pour que les atrocités et exactions du FLN contre le MNA soient reconnues.

– La mémoire des combattants de Kabylie, qui ne sont pas présentés comme des combattants de l’indépendance mais comme des ennemis de l’intérieur, comme une sorte d’élément étranger puisque la majorité de la population algérienne est arabo-musulmane et que les Kabyles sont des Berbères.

  – Une guerre des mémoires au sein même du FLN, entre Ben Bella, grand chef historique du FLN qui a été le premier président mais renversé par une autre faction du FLN menée par Boumédiène en 1963, qui est même jeté en prison et dont l’action est largement occultée.

 

III. Le retour des mémoires des victimes

 

On voit rejaillir depuis les années 1980-1990 des mémoires de victimes qui avaient été jusqu’à présent complètement occultées. Entre mars et juin 1962, les pieds-noirs sont rentrés sur le territoire métropolitain français, ils demandent à être reconnus en tant que victimes du conflit et demandent des indemnisations. Ils ont développé depuis les années 1960 une « nostalgérie » à travers les chansons, les écrits, les témoignages et entretiennent cette mémoire de l’Algérie française. Les Harkis sont aussi victimes puisque quelques dizaines de milliers supplétifs de l’armée française ont combattu auprès des Français contre le FLN et les insurgés algériens. Quand la France a quitté l’Algérie et signé les accords d’Evian, elle a abandonné de nombreux Harkis en Algérie indépendante et ils ont été victimes d’une répression terrible. Dans leur mémoire collective, les Harkis refusent de reconnaître la date des accords d’Evian, le 19 mars 1962, comme la date de la fin de la guerre. Pour eux, il s’agit du début des exactions.

 

Conclusion

 

On voit bien la difficulté pour l’historien de confronter ces mémoires et d’en construire un récit dépassionnée, objectif, scientifique des événements. D’une certaine manière, la guerre d’Algérie s’est poursuivie ensuite à travers la guerre des mémoires.

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